Rencontré le 30/06/2022
Sylvain Vizzutti est administrateur à la fédération départementale des chasseurs en charge du secteur Trièves-pays de la Gresse et président de l’association des chasseurs de Saint-Baudille-et-Pipet. Il est originaire du Trièves mais l’a quitté plusieurs années pour se rendre plus facilement au travail. Aujourd’hui, il est retourné vivre dans son village de cœur : Saint-Baudille-et-Pipet.
Les espèces animales
« Au niveau de la chasse, il y a des évolutions liées au changement climatique dont on est sûrs. On s’aperçoit que les hivers sont plus doux et que les pertes hivernales sur certains gibiers qui sont habituellement touchés par la rigueur de l’hiver sont moins importantes. C’est le cas notamment du sanglier. On sait que la température est un élément essentiel à la survie du marcassin dans les premiers jours et les premières semaines de vie. Pendant très longtemps, ça a été un élément de sélection naturelle qui a limité le nombre de marcassins dans une portée. Quand cet élément disparaît, les portées sont plus prolifiques et on se retrouve avec beaucoup plus d’animaux sur le territoire. A partir du moment où ils grossissent, on ne peut plus les arrêter. Ils ont tout ce qu’il faut : le gîte, le couvert. C’est un des éléments les plus visibles directement lié au changement climatique. On n’observe pas de diminution des populations sur les espèces chassables, celles qu’on observe le plus, car tout est fait pour qu’elles ne diminuent pas. Si elles diminuent, on modifie nos prélèvements pour faire en sorte qu’elles repartent à la hausse. Pour l’instant, le changement climatique favorise certaines espèces. »
« Il y a aussi d’autres espèces moins symboliques de la chasse dans le Trièves et sur lesquelles on a du coup moins de visu mais on s’aperçoit, d’une manière générale sur le département, qu’il y a des variations, avec le passage de certains migrateurs notamment. Si je prends la bécasse par exemple, ou certaines grives : elles se cantonnent sur le Trièves à l’automne parce que pendant la migration, il y a des jours de mauvais temps et du coup elles ne peuvent pas passer le col de Lus. Avec les étés plus longs, les courants migratoires traversent plus facilement, donc on ne ressent pas d’impact direct mais il y a un impact parce qu’il y a moins de temps de posée dans le Trièves. Elles traversent plus vite. On sait qu’il y a des espèces non chassables sur lesquelles le changement climatique a une influence : les insectes, les passereaux… Il y a des étés plus précoces. Les cailles des blés migrent plus tôt donc au moment de la chasse on vous dit qu’il y a moins de cailles mais il n’y a pas forcément moins de cailles, c’est qu’elles ont transité plus tôt. Il y a un décalage des périodes. L’impact qu’il y a sur les insectes, par ricochet, a un impact sur d’autres espèces. On se rend compte que les changements agricoles font qu’il y a de moins en moins de perdrix. L’agriculture a changée du fait du changement climatique et l’agriculture ayant changé, il y a un changement sur le milieu et donc sur l’apport de nourriture. On ne peut pas souvent lier le changement climatique à une espèce. C’est par ricochet qu’il a un impact mais ça impacte. On a beaucoup d’impacts par ricochets. Le réchauffement climatique va avoir un impact sur l’utilisation des pâturages : moins d’utilisation de pâturage, des milieux qui se referment et donc des impacts sur les tétras-lyres par exemple. C’est tout de suite plus difficile de lier le changement climatique à l’espèce mais le changement climatique va avoir un impact sur le milieu et le milieu sur l’espèce. L’Homme peut réouvrir les milieux artificiellement et réduire l’impact sur l’espèce. Il y aurait un vrai impact si l’Homme n’intervenait pas car il contrebalance l’effet du changement climatique. »
Modification de la forêt
« Les chasseurs sont très régulièrement sur le terrain et partout et on voit une modification de la forêt. On voit qu’il y a une mutation de la forêt parce qu’elle n’est pas suffisamment gérée. Il y a beaucoup de propriétaires privés qui ne font pas nécessairement les coupes. Oui, il y a un impact sur la forêt avec les milieux qui se referment, avec des espèces qui ne poussent pas comme elles devraient pousser, avec des changements dans la fructification forestière. Quand une forêt est gérée il y a des perchis, des taillis, des repousses avec des cycles de gestion. Si on ne la gère pas, les taillis prennent de plus en plus de place, les buissons se mettent au milieu. Parfois les forêts deviennent impraticables. Le couvert dessous disparaît car elles sont trop fermées. La forêt évolue mais est-ce qu’elle se referme parce qu’elle n’est pas gérée ou à cause du changement climatique ? »
Evolutions des pratiques de chasse
« Les pratiques de chasse évoluent nécessairement par plusieurs facteurs : parce qu’il y a de moins en moins de chasseurs et de plus en plus de gibier. Il y a aussi de plus en plus de contraintes pour réaliser les plans de chasses. Aujourd’hui les chasseurs sont obligés de mieux s’organiser pour être plus efficaces. On est de plus en plus attendus. Il y a une attente de résultat maintenant. C’est de moins en moins un loisir et de plus en plus professionnel, organisé, avec des consignes de sécurité. Il est là l’impact sur nos pratiques. »
Ressentis en tant qu’habitant du Trièves
« Je me rappelle gamin les chutes de neige l’hiver et ce que mes grands-parents et parents ont pu nous raconter par rapport à ce qu’on voit nous aujourd’hui. Quand on a une grosse chute de neige au mois de décembre et un coup de froid au mois de janvier, on se dit « oulala » alors qu’eux nous parlent de période de neige de mi-novembre jusqu’à fin février. Je me rappelle gamin avoir fait du sac sur une plaque de neige de l’Obiou. Je ne le referais pas aujourd’hui parce cette plaque de neige n’existe plus. Certains disent que c’est mieux d’avoir moins de neige sur les routes mais je ne suis pas sûr que ce soit bien. On nous dit aussi qu’avant on moissonnait en juillet ou en août le temps que les céréales soient sèches. Aujourd’hui, à la mi-juin on commence à moissonner. Cette année on voit les grosses températures du mois de juin, les cours d’eau qu’on ne voit plus couler. »
Sensibilité écologique
« En tant que chasseur, on a toujours eu une cette vision de la relation de l’Homme à son territoire : la forêt et les animaux qui l’entoure. Que ce soit moi ou l’ensemble des chasseurs, on est forcément impactés, acteurs et victimes de ce changement climatique. »
« Le changement climatique ça m’interpelle. Je suis d’un naturel confiant et j’aurais tendance à dire qu’on s’est sortis de tout et qu’on trouvera les bonnes idées mais ça m’interpelle quand même pour savoir comment sera le futur. Qu’est-ce que je vais laisser à mes enfants ? Comment mes enfants vont gérer cette zone [le Trièves] qui nous tient plus qu’à cœur ? J’aime le Trièves et ma commune viscéralement. Si j’ai fait le choix de revenir dans le Trièves c’est pour habiter chez moi et pas une autre commune du Trièves. Mes parents, mes grands-parents m’ont laissé un certain patrimoine : qu’est-ce que moi je vais laisser comme patrimoine à mes enfants ? Est-ce que mes enfants pourront voir les prairies verdoyantes, les grandes forêts de sapin ? Est-ce qu’ils verront des cerfs et des coqs de bruyère ? Est-ce qu’ils verront des marmottes ou alors du chêne vert et de la garrigue ? Je pense qu’on finira par trouver les bons modes de consommation pour s’adapter à tout ça mais je ne crois pas à la décroissance. Consommer autrement oui. »
Mes pratiques
« On essaie de faire des petits gestes au quotidien mais ce n’est pas évident : on trie les déchets, on fait attention à la lumière, à la consommation d’eau. Chacun sa petite goutte. J’aimerais moins consommer de déplacement automobile mais les horaires de train ne sont pas toujours adaptés et l’emploi non plus. Il y a forcément un moment où il faut descendre sur Grenoble pour aller travailler. Il faut faire l’aller-retour et des fois à des horaires qui ne sont pas forcément adaptés au covoiturage : parce que des fois il faut partir tôt et rentrer tôt pour aller chercher les enfants à l’école, parce que ma journée de travail ne correspond pas forcément à celle d’un autre. J’ai aussi des activités associatives sur Grenoble qui font que je peux rentrer très très tard. J’ai une volonté de faire les choses mais il y a encore des freins structurels pour les mettre en place. Je ne sais pas vraiment comment lever ces freins structurels. J’ai pris le train pour aller au travail quand je n’habitais plus dans le Trièves mais aujourd’hui je ne le fais pas parce qu’il faut prendre la voiture pour aller à Clelles, prendre le train de Clelles jusqu’à Grenoble et reprendre les transports en commun de la gare jusqu’à mon lieu de travail. C’est faisable mais il me faut 2h30 pour le faire alors qu’avec ma voiture je mets à peine 1h. Ma sensibilité « écolo » me dit que je devrais le faire mais le côté pratico-pratique me dit que je n’ai pas le temps de le faire. Demain, s’il y avait une voiture électrique qui avait assez d’autonomie pour aller jusqu’à Grenoble, passer la journée là-bas et revenir, peut-être que je passerais à une voiture électrique même si aujourd’hui on peut se demander si une voiture électrique est bien plus écologique qu’une voiture thermique. Oui, ça consomme moins de pétrole mais est-ce qu’elle ne consomme pas plus d’autres choses ? Après, le meilleur déplacement écologique c’est celui qu’on ne fait pas. Aujourd’hui moi j’attends que le Trièves fasse le bond de la 0G à la 5G direct pour faire du télétravail. Cela demande du haut-débit et un réseau mobile fiable et ce n’est pas le cas techniquement mais aussi dans l’esprit des trièvois. Aujourd’hui, beaucoup viennent dans le Trièves pour ne pas avoir d’ondes. Moi je suis parti parce qu’il n’y en avait pas, je reviens parce que ça commence à arriver mais je regrette que cela ne soit pas assez. Il y a ce conflit d’usage. Il faut arriver à concilier les trièvois « pur souche » qui ont pu partir parce que la modernité ne suivait pas comme moi et qui souhaitent revenir avec ceux qui ont quitté la modernité pour venir ici parce qu’il n’y en avait pas. »