Rencontré en août 2022
Noël Descombes est retraité. Il a fondé son activité équestre et a repris une exploitation agricole. Il a 70 ans et est originaire du Trièves. Il a vécu à Clelles et vit à Mens depuis 40 ans.
L’eau
« C’est sûr et c’est net qu’il y a des évolutions. On sent bien qu’il y a moins de précipitations, des températures de plus en plus chaudes, des sècheresses qui se répètent, le souci d’eau potable déjà et puis de l’eau tout simplement : pour les chevaux, pour la nature. On ne peut pas l’ignorer. Il y a un phénomène de réchauffement c’est certain. »
« On récupère l’eau du toit. On a un bassin de 5 m3. Quand il y a des orages, ça nous remplit de nouveau le bassin. Les années normales ça nous fait 80% de l’eau mais cette année ça ne le fera pas. Le bassin va être vide et il y a très peu d’orages donc après on finit avec l’eau de la commune. »
« Les ruisseaux sont très bas. Ce sont des fils d’eau et des eaux polluées tout de suite. Avant, l’eau était propre jusqu’à début août. On ne sentait pas d’algues et ce n’était pas vert. Là, on est fin juin et il y a déjà de la pollution dans les ruisseaux. L’eau se réchauffe. Elle tourne vite et devient verte. On est obligés de couvrir notre bassin. Si on le laisse au soleil, les chevaux ne boivent plus l’eau parce qu’elle devient verte. Il faut s’adapter. »
« On peut craindre de ne carrément plus avoir d’eau sur le réseau et avec les chevaux on ne peut pas se permettre. Manger ils trouveront toujours mais boire… On est seulement début juillet donc on a deux mois à passer à charrier de l’eau. Bientôt, il faudra tous les jours leur chercher quelques milliers de litres dans une tonne à eau. Quand il pleut, on récupère et ça nous soulage beaucoup. Ça soulage aussi le réseau d’eau. »
« Cette année on n’a aucune pluie. Il y a des orages sur les montagnes mais rien au milieu du Trièves. Il tombe trois gouttes. L’herbe est sèche. Il faut espérer qu’on n’ait pas trop d’années comme celle-ci. »
« J’ai essayé de faire un puit mais ça ne marche pas. J’ai juste 5cm d‘eau au fond. Je vais sûrement essayer de récupérer encore plus d’eau du toit, d’augmenter la surface parce qu’avec le peu d’orages qu’on a… Je pensais même faire une grosse citerne souterraine. »
Le foin et l’herbe
« Il faut toujours s’adapter à l’herbe. Cette année par exemple on est obligés de couper de très bonne heure sinon ça sèche tout. Ça oblige à démarrer de bonne heure, à ramasser même s’il n’y a pas grand-chose parce qu’on en a besoin. Donc même les petites récoltes on les ramasse alors qu’il y a quelques années on n’aurait peut-être pas ramassé. On ramasse entre 15 jours et 3 semaines plus tôt pour essayer d’avoir du foin vert de qualité. On ne sait même pas si les graines sont porteuses ou reproductrices. Ça fait des tas de questions. On donne du foin au chevaux l’été pour compléter alors qu’avant on n’en donnait quasiment pas. Et évidemment on est obligés d’en avoir l’hiver. On ne sait jamais comment cela va se passer dans les 6 mois qui viennent. C’est très difficile à gérer. »
Les chevaux
« On a de la chance que le cheval est rustique. Il mange tout, même l’herbe sèche. On a l’impression qu’il devine un peu la dureté de la vie et qu’il mange tout ce qu’il trouve. Peut-être qu’il s’adapte. Il faut aussi bien qu’il supporte les chaleurs. On essaie de ne pas faire d’activités entre 14h et 16h. On le fait le matin ou en fin d’après-midi. Sinon c’est net, ils se mettent à l’ombre et ils n’ont pas envie de partir. Ils savent se protéger. »
Insectes
« On a eu ces dernières années des invasions comme la pyrale du buis qu’on n’avait jamais eu avant. On se demande pourquoi elle est arrivée. C’est sûrement lié à la température. On a un beau cerisier. Cette année, on a pu en récupérer quand même pas mal mais ça a fini avec la mouche du cerisier. Ça doit faire la deuxième ou troisième année qu’on voit ça. Avant on n’en avait pas. Dans le midi ils en avaient déjà. Cette année heureusement c’était à la fin de la récolte. »
Neige
« Le changement dans les chutes de neige c’est énorme. J’ai vu des 80 centimètres et des hivers qui ont duré 3-4 mois dans le Trièves. Maintenant, si on a 20 centimètres, pour faire une sortie ski il faut faire vite. »
Ressentis et bonnes pratiques
« J’ai une sensibilité écologique depuis toujours. J’ai toujours vécu à la campagne. J’avais des grands parents très agricoles, qui travaillaient et récupéraient beaucoup. Ils avaient tous les animaux de la ferme. Ça me rappelle de bons souvenirs. Il faudrait apprendre à tuer un poulet, à le plumer, à cuisiner un lapin pour être autonome. Le monde rural devrait se pencher là-dessus. Les générations passées elles savaient tout faire. Nous on en a déjà perdu 60% et encore une génération je ne sais pas ce qu’il va rester. Il faut apprendre à vivre en autonomie et tous ceux qui peuvent le faire c’est autant moins de consommations, de déplacements. Pour ça, je crois qu’il faut être à la campagne et avoir quelques savoir-faire. Il faut essayer de moins se déplacer. J’essaie d’aller chercher le pain en vélo plutôt qu’en voiture et des fois je le fais moi-même. On ne gaspille rien. On ramasse aussi tous les papiers le long de la route en revenant ou en partant en balade. On se chauffe au bois. On a une installation électrique qu’on n’utilise presque pas. Le bois ça devait être provisoire et puis 40 après on se chauffe toujours avec. Il faut essayer de vivre un peu en autoconsommation mais il faut la santé et le temps pour tout faire et aussi avoir la chance de vivre à la campagne. »
« Quand je pense « où est-ce que je vais devoir mettre les chevaux demain ? » parce que là il n’y a plus d’herbe et là non plus, c’est pesant. On a fait du foin mais si on le mange tout maintenant [en été] on n’en aura plus cet hiver. Pour l’instant on y arrive mais on a toujours peur que ça puisse s’aggraver jusqu’à une limite où on se demandera comment faire. Il faut se débrouiller et s’adapter. C’est peut-être aussi avoir moins de chevaux mais ce n’est pas simple si on veut que tous les cavaliers se fassent plaisir : il faut avoir différentes tailles, plusieurs tempéraments. »