Rencontrée le 09/08/2022
Muriel Leguern est pisteuse, nivométéorologue et possède un gite (Narcisse) à Gresse-en-Vercors. Elle habite dans le Trièves depuis 30 ans.
« J’ai suivi une formation d’une semaine avec Météo France. On apprend à noter la météo chaque jour, à la coder et à faire des sondages par battage. On creuse la neige une fois par semaine jusqu’au sol pour en sortir un profil stratigraphique avec la hauteur et le grain de neige. Avec ces données plus celles des autres stations, et les relevés journaliers, Météo France établit le bulletin avalanche. Dans le Vercors, il y a Villard, Corrençon et peut être d’autres, nous et d’autres stations importantes comme celle au Pas de l’Oeille (Nivose Le Gua). Quand je fais les relevés météo pour la station c’est précis. On note tous les jours le vent, sa force, la hauteur de neige, le type de nuage, le temps qu’il a fait la veille et au moment présent, la température maxi et mini, l’humidité et les précipitations. »
La neige
« En cumulé, il y a 20 ans, c’était classique d’avoir 8 mètres de neige sur un hiver et maintenant on a plutôt 3 mètres de neige cumulée. Il y a de la neige mais ça fait beaucoup moins d’eau à la fin, pour le printemps. »
« Il y a toujours de la neige mais elle est décalée, c’est-à-dire qu’on peut faire du ski de rando jusqu’à fin mars. On ferme la station le 15 mars parce qu’il n’y a plus de clients et pas souvent à cause du manque de neige. Par contre, en décembre, on n’a pas de neige C’est un ressenti mais pour moi ça se décale, il y a plus de neige vers la fin de saison qu’en début de saison. »
« Ça fait plusieurs années qu’on a une chute de neige fin novembre mais tout fond. Il reneige un peu en janvier et puis un petit peu à chaque fois. On arrive à tenir la saison mais ce ne sont pas des grosses quantités. Quand on voit 50cm tomber on se dit « wow ». On va vite le mesurer sur la table. On a plutôt des chutes de 20-25cm [A Gresse-en-Vercors] mais il peut pleuvoir dessus. Maintenant, il y a de l’eau qui tombe même à 1700-1800m et toute la saison donc on a plus d’avalanches de fonte, de neige mouillée. Elles sont plus en altitude et plus tôt qu’avant. En décembre, on peut se prendre une avalanche de fonte. La neige est imbibée d’eau comme au mois de mars. La structure de la neige a changé. Le 31 décembre 2021, ça a été de la folie au niveau des précipitations. C’était affolant ce qui est tombé en volume de pluie. On a perdu une piste en 2h. Elle s’est transformée en torrent. On a dû faire venir un tractopelle sur la piste en plein hiver. C’était la misère. On est obligés de faire des tranchées sur les pistes pour que l’eau s’évacue. On ne peut pas se dire qu’on est sereins pour la saison. Ça peut changer en 2h de temps. »
« Avant, on n’avait pas ce phénomène de sable du Sahara qui a complétement rougit les montagnes, surtout dans les Pyrénées cette année et chez nous l’année dernière. Pour l’instant Météo France n’est pas capable de dire si cela a une influence sur les avalanches si ce n’est que ça fait un albedo plus important [pouvoir réfléchissant d’une surface]. Quand la neige est blanche, le soleil se reflète et cela n’a pas d’incidence mais si elle est teintée, ça absorbe l’énergie et ça fond plus vite. Le sable, il reste. J’en ai retrouvé sur des rochers en été. J’aurais pu remplir un petit pot avec. »
« Pour faire face au manque d’enneigement, on va essayer d’installer plus de barrières à neige. Ce sont des barrières en bois qui empêchent la neige de s’en aller loin sur les crêtes. On aimerait en mettre sur des endroits ventés pour bloquer la neige. Je trouve qu’il y a vraiment plus de vent qu’avant. Je sais que dans le massif central, ils n’ont pas de canons mais ils mettent des barrières à neige. Ça leur fait un stock de neige naturelle et ils piochent dedans avec la dameuse. Il y a aussi les dameuses à treuil qui existent depuis environs 20 ans. Elles permettent de remonter la neige que les skieurs descendent en permanence. Aujourd’hui, il y a aussi des dameuses qui sont capables de dire combien de centimètres de neige il y a sous la machine. Ça fait des économies parce que ça permet de mettre la neige au bon endroit. Ici on n’en a pas, c’est trop cher. Il y a aussi des études météo qui permettent de dire : « Là ça chauffe vraiment, il faut mettre beaucoup de neige. Là ça peut tenir jusqu’à fin mars avec 50cm de neige. ». Il y a des boites qui se sont créées en vendant un logiciel qui permet de dire ça. C’est cher mais les grosses stations investissent parce que ça leur fait faire des économies. Les dameuses roulent moins donc utilisent moins de fuel et ils font des économies sur le salaire des conducteurs. »
« Je pense que je serais à la retraite avant que la station ne soit fermée mais on voit que ça ferme un peu tout autour, de partout : en Espagne, en Suisse. On n’en parle pas trop mais en Suisse ils ont fermé des stations à 2400m d’altitude et ils ne démontent pas les télécabines parce que c’est trop cher. Les fermetures ce n’est pas toujours à cause du manque de neige mais aussi parfois à cause de la proximité avec une grosse station. Je n’ai aucune idée de combien de temps la station pourra rester ouverte. On bataille pour. On n’a jamais fermé complétement. On a réussi à tenir sur des langues de neige mais est-ce que ça fait rêver de skier sur trois langues de neige avec de l’herbe à côté ? On a un télésiège qui a 60 ans. Ça coûte cher à entretenir, la neige de culture aussi. On pousse nos machines au maximum pour économiser. »
« Les courses en montagnes d’habitude ça se termine mi-juillet et là depuis juin on ne peut plus en faire : les glaciers sont tous pourris, les cailloux tombent, c’est hyper dangereux. On voit bien les photos avant/après des glaciers. Le glacier des 2 Alpes est noir. »
Les canons à neige
« Je me demande à quoi cela sert de mettre des canons alors qu’il ne fait pas froid. Dès qu’il fait un peu froid, on crache un maximum avec les canons mais du coup on vide la réserve et il faut attendre qu’elle se remplisse mais dans les périodes de froid il y a moins d’eau. C’est un chien qui se mord la queue. Mais si on n’avait pas les canons en bas, on ne vivrait pas. La station aurait déjà fermé comme le col de l’Arzelier. Les premiers canons ont été installés il y a longtemps, en 1988, au moment de la construction des Dolomites [résidence avec appartements et locations] et de l’explosion des stations de ski et c’était une bonne chose pour la station. On était les premiers à en installer en Isère. Le maire avait été visionnaire à l’époque. Aujourd’hui, on lui reproche d’avoir construit les Dolomites mais on manquait de lits et je crois que n’importe quel élu aurait fait la même chose à ce moment-là. Même si les canons sont aujourd’hui plus performants et consomment moins d’eau et d’électricité cela reste énergivore. »
« On dit qu’une station est viable à partir de 1600m. Pour celles qui sont en dessous de 1600, l’avenir c’est fini s’il n’y a pas de canons mais il y aura aussi de moins en moins de froid donc ce sera compliqué de les faire fonctionner. »
« Nos canons vont jusqu’à 1500m, pas au-dessus. Ça n’enneige que la piste de descente. Je me suis positionnée contre car je trouvais que c’était un trop gros investissement pour le résultat obtenu. Il y a toujours des inversions de températures, cette année également. On ne rajoute pas d’additifs dans l’eau. En France c’est interdit. Ça marche juste avec de l’eau et du froid. Cette année il y a eu de la neige donc ça a fait des économies mais c’était la première fois qu’on ouvrait avec les nouveaux canons et on n’a pas pu vraiment les tester. »
« Le climat était tendu juste avant le vote. Il y a beaucoup de gens des résidences secondaires qui sont venus voter pour les canons. Ceux qui sont pour les canons disent que ça fait vivre le village, que sans ça il n’y a plus d’école, de boulangerie, plus de poste… S’il y a de la neige tant mieux, on peut skier, mais je ne crois pas qu’il faille la chercher à tout prix. Il y a des gens qui ont voté contre les canons du point de vue financier mais certains pour l’aspect eau. Il y a même des endroits où ils font de la neige de culture avec de l’eau potable. Je pense à l’avenir mais j’ai l’impression que peu de gens pensent au futur. »
« Je fais partie de l’association « Gresse 2050 ». On publie surtout des articles sur le climat. Météo France a sorti un document expliquant que si 47% du domaine skiable est enneigé par de la neige de culture alors la station a encore 30 ans d’existence et ceux qui ont défendu les canons à neige ici l’ont utilisé comme justification. On a fait un article pour expliquer où seraient situés les canons et pourquoi on était contre et puis on a posté des articles sur le Facebook de « Gresse 2050 » pour ceux qui voulaient les lire. Je fais une intervention « neige et avalanche » tous les lundis au cinéma. Je parle des enneigeurs et de la neige de culture mais je ne rentre pas dans les détails politiques. Je ne donne pas mon avis sur la question. »
Le tourisme
« Ici on a un public « montagne soft ». Les gens sont contents d’avoir de la nature préservée, pas de bruits, pas de remontes pentes dans tous les sens, pas de télécabines. »
« Les gens qui habitent à Gresse ne dépendent pas tous de la station. J’ai un gite : en février ce sont des skieurs mais pendant les week-ends intersaison, il y en a qui ne savent même pas qu’il y a une station de ski. Beaucoup de gens viennent en décembre même s’ils ne sont pas sûrs d’avoir de la neige. C’est beaucoup de familles. Le public skieur est vieillissant. Il y a de moins en moins d’enfants qui apprennent à skier. Ici, on a souvent plus de monde sur les pistes de luge que sur les pistes de ski. Le ski ça reste cher : il faut compter la location, le forfait, le logement et la bouffe… Les appartements de 15-20m2 ça a marché quelques années, dans les années 1970, mais maintenant les gens veulent des chalets, des maisons, du confort parce qu’ils ne skient pas tous toute la journée. A Courchevel, ils ont investi dans de l’animation, dans des activités à côté du ski alors qu’ils ont de la neige et beaucoup de pistes. »
« Il y a de plus en plus de monde qui télétravaille depuis le confinement. Ils s’installent ici et ne descendent qu’une ou deux fois par semaine sur Grenoble. Ils viennent surtout pour se mettre au frais, parce qu’il y a une école et d’autres activités. La station, c’est un plus. Ceux qui ont des résidences secondaires remontent de plus en plus le week-end et pendant les vacances pour fuir la chaleur de Grenoble et de Lyon. Je pense qu’on une clientèle climat. »
« Ici on arrive à trouver de tout en local : des fruits, des légumes, du fromage, de la viande. Ça doit faire 15 ans que je n’ai pas mis les pieds dans un Leclerc. Le dépliant de la route des savoir-faire il a été au moins multiplié par deux. Il y a une quantité d’artisans incroyable dans le Trièves. Je crois qu’on a déjà tout ce qu’il faut. Il faut faire marcher le tourisme avec des activités comme la poterie, les visites de fermes… On n’a pas besoin de rajouter une luge d’été. On me dit que je suis anti-touriste mais j’ai un gîte. Je pense qu’il ne faut pas à tout prix attirer les touristes. On a un planétarium et un super télescope. Ici, on a l’avantage d’éteindre les lumières la nuit à 23h et c’est formidable. On a un ciel hyper lumineux. J’ai mis du temps à avoir cette vision-là. Il y a 10 ans, si on m’avait proposé une tyrolienne géante qui partait du Baconnet et qui arrivait jusqu’en bas j’aurais sûrement dit « génial » mais aujourd’hui ça ne me fait plus rêver. Les gens apprécient tout autant quand je leur conseille d’aller observer les marmottes au Serpaton. »
« On a fait une cartographie de Gresse et je ne m’étais pas rendu compte qu’il y avait du goudron de partout. Il y a des immenses parkings. Evidemment l’hiver ce n’est pas surdimensionné parce que c’est plein mais hors saison, on ne voit que ça. Il y a une politique pour réengazonner actuellement. »
« On est contents quand on parle de nous mais les passerelles, par exemple, je ne les conseille plus en été. Les gens reviennent déçus parce qu’il y a trop de monde. Il y a 150 000 personnes par an. Le lac ne fait même plus de pub pour. Il faut suivre derrière quand il y a du monde avec des poubelles, des toilettes. On a mis des toilettes à l’odyssée verte c’est un investissement et puis il faut les nettoyer mais c’est indispensable. »
« Le tourisme et la façon de se déplacer a changé. Les gens viennent moins longtemps. Ils font des sauts de 2-3 jours. On n’a pas besoin d’aller loin. Je fais pareil. Je fais le tour du Ventoux en vélo pendant 3 jours et j’ai l’impression d’être parti un mois. Je pense qu’il faut revenir à ça. »
« On développe beaucoup d’activités l’été. Tous les jeudis on fait un concert-apéro et ça marche de mieux en mieux. Lalley fait maintenant la même chose le vendredi tous les 15 jours. Par contre, en hors saison, il n’y a presque plus rien. On essaie de faire des choses en mai et en septembre. En mai, on fait une fête de la nature avec des conférences, des films et des visites. »
La ressource en eau
« Les réserves d’eau sont vraiment très basses. On a énormément de fuites. On en a réparé mais il y en a encore un peu. Comme on est limite, la mairie a dû expliquer que si on continuait comme ça on serait obligés de couper l’eau de 22h à 5h. Notre retenue colinéaire se remplit assez rapidement grâce à de nombreuses résurgences et avec l’eau de la Gresse. On ne peut pas remplir la retenue en ce moment parce que le débit de la Gresse est bien trop bas. On n’avait pas trop de problèmes d’eau avant mais on voit bien qu’on ne va pas vers du mieux. Depuis juin, ma fontaine ne coule plus. J’arrose le jardin avec l’eau que je récupère en lavant les légumes ou avec la première eau de la douche. C’est impressionnant ce qu’on peut arroser avec ça. Ça fait à peu près 25L par jour. »
« Je fais du VTT régulièrement et l’alpage est sec, tous les chemins aussi. Je n’ai jamais vu ça. Les vaches risquent de redescendre plus tôt. Elles ne manquent pas d’eau. Elles ont toujours des points pour boire mais elles n’ont plus d’herbe. C’est jaune. Il y a déjà eu de la sécheresse comme ça mais pas aussi tôt. »
« Il y a un dérèglement c’est sûr. Les gens confondent souvent climat et météo. Bien sûr on peut avoir un mois de juillet très chaud et un mois d’août pluvieux. »
Biodiversité
« Cette année, il y a un mois d’avance sur les sabots de vénus. J’envoie toujours des photos à mes amis. D’habitude c’est le 11 juin et là c’était le 15 mai. C’est pareil pour le lys martagon et là tout est fané. Je me repère pas mal avec les épilobes. Fin août, normalement on voit tout leur pollen blanc en l’air et là ils sont déjà morts. Il y a aussi un mois d’écart. Il n’y a plus de plantes. Tout est cuit. Pour les animaux, je pense que c’est bien compliqué. Le manque de neige ça tue les marmottes parce qu’elles ne sont plus protégées par la neige dans leur trou. Elles sont obligées de fournir de l’énergie pour se protéger du froid et comme elles sont en période de repos, elles meurent. Elles sortent toujours au même moment peu importe la température ou s’il y a de la neige. »