Rencontrés le 17/06/2022
Jocelyne et Didier Montoliou Peybernes sont arrivés dans le Trièves en 1979. Ils habitent à Clelles et ont été maraîchers pendant 40 ans. Ils ont arrêté leur activité en 2019.
L’hiver
« C’est l’hiver qu’on ressent le plus les évolutions du climat. C’est seulement récemment qu’il y a des étés plus chauds. Quand on est arrivés dans le Trièves, l’hiver durait plus longtemps et surtout il était plus stable. Il faisait -8°C, -10°C dès novembre et jusqu’en mars. Parfois, en février, on pouvait avoir jusqu’à -20°C. Il y avait un à deux mois de vraie neige qui ne partait pas. Maintenant, c’est beaucoup plus variable. L’accélération s’est plutôt faite dans les dernières années parce que nos enfants ont connu cette neige. Avant, les pistes de ski de fond de Chichilianne partaient du village : le foyer était derrière l’église. Aujourd’hui il y a beaucoup de vent. Il n’y en avait absolument pas avant de novembre à mars. Il y avait des températures basses en hiver mais avec de grands ciels bleus. C’est plus perturbé aujourd’hui : beaucoup plus pluvieux, nuageux, gris... Ces changements n’ont pas vraiment affecté notre activité de maraîchage car l’hiver on se reposait. En habitant le Trièves, ça nous a même arrangé en rallongeant la saison de maraîchage. Nos meilleures saisons ont été les années les plus chaudes. »
Le gel
« Avant l’histoire des « Saints de Glace » ce n’était pas une blague. Vers le 15-20 mai, on pouvait vraiment avoir des gelées. Aujourd’hui c’est beaucoup moins angoissant. »
Les serres
« Nos pratiques de maraîchage n’ont pas été modifiées à cause du changement climatique contrairement à celles des nouveaux maraîchers. On n’a pratiquement jamais utilisé de serres. On avait seulement une serre de semis en bois bien solide pour éviter une angoisse perpétuelle avec la neige bien lourde alors que maintenant, les jeunes maraîchers qui s’installent dans le Trièves ont tous des serres. On pouvait avoir une neige de printemps qui écrase tout au mois de mai par exemple. Ils ont beau avoir des serres renforcées, s'ils avaient eu la neige qu'on avait à ce moment-là, elles n'auraient pas tenu. Il pouvait tomber 30cm fin-mai. On ne devait pas oublier de se lever la nuit pour décharger. Maintenant, les maraîchers ont plutôt l’angoisse du vent. Il a déjà aplati des serres dans le Trièves. Si on avait travaillé encore 10-15 ans, on aurait sûrement dû évoluer dans nos pratiques. »
« Le maraîchage biologique aujourd’hui c’est bien mais utilise généralement beaucoup de plastique donc ça pose question. Mettre du plastique évite le désherbage qui est un travail difficile. C’est le choix que font la majorité des maraîchers aujourd’hui. Le plastique peut aussi servir à réchauffer la terre. A notre époque, quand on a commencé à faire du bio, la question ne se posait même pas. On évitait de mettre du plastique parce que ce n’est pas une des meilleures matières... Maintenant que le bio se généralise, il intègre des méthodes de cultures intensives comme l’utilisation de plastique. Ce n’est pas industriel non plus. On a fait le choix de ne pas en mettre sauf pour réchauffer la terre quelques fois. Le souci, c’est que les maraîchers bio doivent trouver un palliatif aussi efficace que le plastique. Certains font des mulchs de paille mais c’est compliqué d’en mettre sur une grande surface. Je crois que ça existe en chanvre aussi maintenant mais le prix est exorbitant. »
La grêle
« On n’a pas trop été touché par les grêles dans le Trièves. Il y a quelques années, on a eu une grosse grêle mais c’est surtout les tomates qui ont été abîmées. Les végétaux c’est costaud et il y a plein de choses qui sont reparties. C’est aussi parce que c’est arrivé au début de la pousse et pas à la fin de l’été. Ça aurait été beaucoup plus destructeur. »
L’eau
« Le maraîchage se portera bien tant qu’il y a de l’eau. Quand il y a eu des restrictions, en tant que maraîchers, on était prioritaires. Le manque d’eau ne nous a jamais trop handicapé. Il y a même eu des années où on arrosait peu mais cela change. C’est aussi grâce aux terres argileuses qu’on a eu qui retiennent pas mal l’eau. Pour les terrains de cailloux, c’est plus difficile. Aujourd’hui, les communes qui n’ont pas de réseau d’irrigation sont affectées. Avant, les champs de céréales n’étaient pas du tout arrosés alors que maintenant on le voit. Les agriculteurs arrosent même les grains pour les faire grossir, sinon ils mûrissent avant d’avoir grossi. »
La chaleur
« On tenait des agendas dans lesquels on notait la météo, tous les jours, ce qu’on faisait, l’arrivée des oiseaux, les premières récoltes… Il y a toujours eu des vagues de chaud en février ou des fois en mars mais quand la période de la récolte arrivait, à quelques jours près, on savait qu’on avait les premières tomates ou les premières courgettes. Cette année, la chaleur est marquante : les fruits rouges se ramassent bien plus tôt. L’année dernière [2021], j’ai fait les confitures de groseilles début-juillet. Aujourd’hui on est le 16 juin et j’ai déjà commencé. Les framboises sont aussi en train de mûrir alors que d’habitude c’est entre le 1er et le 14 juillet. Cette année c’est précoce mais il faut voir si cela dure sur plusieurs années pour établir un vrai lien avec le changement climatique. Cela fait aussi une dizaine d’années qu’on entend les cigales quelques jours dans l’année, ici à 750 mètres d’altitude. Il y en avait déjà au bord de l’Ebron. C’est loin d’être assourdissant mais on n’en entendait jamais avant. Elles montent en altitude. »
Les abeilles
« On a des abeilles et on voit aussi que cela a évolué. Comme on a des hivers plus doux, les abeilles démarrent plus tôt leurs activités. Dès le mois de février, elles font des larves et elles sont pratiquement prêtes à essaimer dès le 10 avril mais il faut faire attention. L’an dernier, au mois de mai, il a plu alors que la ruche était pleine de larves. Les abeilles ne pouvaient pas sortir pendant 10-15 jours. On les a sauvées mais elles ont failli mourir de faim et il y a eu beaucoup de pertes ailleurs. Les abeilles avaient un cycle vraiment calé sur l’hiver. Ici c’est problématique qu’elles démarrent plus tôt avec les possibles retours de froid et les semaines de pluie. Avant dans le Trièves, il y avait plus d’élevage et désormais de plus en plus de céréales et donc moins de fleurs et d’insectes. Quand on est arrivés, on avait 30 ruches parce qu’il y avait beaucoup de fleurs et maintenant c’est plus compliqué. »
Les papillons
« J’ai l’impression qu’il y a moins de papillons maintenant. Avant, il y en avait des centaines dans les champs. Aujourd’hui on en voit mais plutôt par dizaines. On a un bon indicateur, plutôt objectif. Les serres c’est un vrai piège à papillons. Dans notre serre de semis, il y en avait plein qui rentraient et qui n’arrivaient plus à sortir. Sur les jointures de la serre, on en voyait vraiment plein et maintenant on en trouve plutôt une dizaine ou une quinzaine. Ça fait aussi 3 ans que je n’ai pas vu le flambé, un grand et très joli papillon. On en voyait tous les ans. J’ai l’impression qu’il y a une diminution de la quantité mais aussi de la variété des papillons alors que nos voisins agriculteurs sont passés en bio. Avant, ils n’utilisaient pas non plus de l’insecticide à tout va sur leurs champs. C’est donc peut-être comme les abeilles : à cause du manque de fleurs. Il y a aussi une évolution des techniques de foins avec l’enrubannage qui permet de faucher plus tôt. Si une espèce ne trouve pas sa nourriture, petit à petit elle diminue. »
Les oiseaux
« Avant on entendait beaucoup les rapaces, les chouettes et maintenant c’est beaucoup plus rare. On voyait couramment 15-20 buses dans les champs en face et on n’en a pas revu depuis longtemps. Je trouve aussi que le chant des oiseaux à cinq heures du matin est moins intense et dure un peu moins longtemps. En termes de variétés, on voit toujours les mêmes mais il y a sûrement une diminution du nombre. On n’a pas non plus vu arriver de nouveaux oiseaux caractéristiques adaptés à des zones plus chaudes. »
Ressentis par rapport au changement climatique
« J’avais été plutôt angoissé quand il y avait eu des questions de pluies acides. Je passais mon temps à surveiller et heureusement ça avait été moins catastrophique que ce qui avait été annoncé. Le climat m’angoisse un peu moins même si c’est évident que la situation empire. On voit le voit déjà nettement en Inde. En Europe, on s’en sortira mieux qu’ailleurs. Cela touchera surtout les générations futures. A notre âge, cela ne nous concernera pas trop. J’ai l’impression que tant qu’on ne sera pas au pied du mur et que ce n’est pas catastrophique, personne ne fera rien. Tout le monde minimise les conséquences. Les gens ne percutent pas car ils ne savent pas réellement ce que cela peut produire. S’il y a des cultures qu’on ne peut plus faire pousser à certains endroits ou si elles sont détruites par des catastrophes naturelles, ce ne sera pas seulement une question de confort de vie mais de survie et d’alimentation. Il y a un tel décalage entre le vivant, son fonctionnement, les saisons et notre quotidien que les gens ne font plus le lien entre les deux et achètent tout n’importe quand : des courgettes au mois de janvier par exemple. Je pense que des efforts seront faits mais que ce ne sera pas suffisant. Cela ne doit pas nous empêcher pas de faire tout ce qu’on peut. Dans le Trièves, on ne s’en rend pas forcément compte mais on est privilégiés. »