Rencontré le 07/07/2022

Dans le Trièves depuis 1980, Gérard Leras est ancien éleveur fromager et ancien vice-président à la région. Aujourd’hui il vit à Mens et est membre de l’association Trièves Transition Ecologie. Il a 76 ans.


« Je suis arrivé dans le Trièves pour mener une action pilote sur le plan foncier en lien avec l’agriculture. Dans ce comité de pilotage, il y avait des agriculteurs locaux, la Chambre d’Agriculture et d’autres organisations. Il y avait besoin de quelqu’un pour animer tout ça et c’est moi qui ai été choisi et je suis arrivé dans le Trièves comme ça. Après ça je me suis installé comme agriculteur, en 1985 à Saint Paul les Monestier et j’ai fait 18 ans d’éleveur fromager. Ensuite, je me suis retrouvé conseiller régional et pendant le deuxième mandat j’étais vice-président à la politique foncière. Aujourd’hui je suis retraité et je milite dans TTE [Trièves Transition Ecologie]. »

La chaleur et la sécheresse

« Les évolutions climatiques les plus fortes que j’ai observées c’est notamment la violence des évènements. Ce qui se passe est de plus en plus marqué et violent. Ce que je sens le plus c’est la sécheresse et la canicule l’été. En 2003, quand il y a eu de la sécheresse et la canicule en même temps, et ce un peu partout, j’ai été amené à aller dans le nord de l’Isère et c’était impressionnant. On voyait des vaches qui n’avaient absolument rien à bouffer. Dès début juin les terres étaient complétement brûlées et dans le Trièves c’était moins marqué peut être grâce à l’altitude, peut-être parce qu’on était protégés par les montagnes mais maintenant on le ressent de plus en plus et on le voit même chez nous, cette année particulièrement. On sent qu’on peut avoir une sécheresse et une canicule terrible. Les chaleurs ont démarré très tôt, il a plu extrêmement peu. » 

« L’élévation des températures qu’il y a partout, en France, sur les Alpes, je trouve qu’on la sent particulièrement ici. On se retrouve dans des situations qu’on n’avait pas avant. Pour mon BTS, j’avais fait un mémoire sur l’alpage du Sinépy alors que je n’étais pas encore en Trièves, j’étais en Oisans, et au niveau des moyennes de températures et des précipitations, le Trièves ne se distinguait pas particulièrement. C’était une zone qui délimitait un peu les Alpes du Nord et du Sud. Aujourd’hui j’ai l’impression que le col du Fau marque un peu cette délimitation entre Alpes du Nord et Alpes du Sud. Je crois que les conséquences du changement climatique ne sont pas exactement les mêmes dans le Nord et le Sud Trièves. »

« Quand j’étais agriculteur [de 1985 à 2003], je n’ai pas eu l’impression d’être touché par les conséquences du changement climatique. Je me souviens avoir eu très froid en hiver, d’avoir les tuyaux gelés… Ce dont je suis sûr c’est que des chaleurs aussi suffocantes qu’on a dernièrement, je n’ai pas le souvenir que j’en avais souffert l’été à cette époque-là. »

La neige

« Une autre chose que j’ai remarqué, c’est que par rapport à ce que j’ai connu, on a plus des chutes de neige aussi fortes. Quand il neige, il y en a moins. Les chutes de neige de 20-25cm c’était assez fréquent. J’ai le sentiment qu’elles arrivent de moins en moins. Pour la période d’enneigement, je ne suis pas sûr que ça ait beaucoup changé. Il n’y a pas si longtemps on a eu de la neige dès le 31 octobre et pendant la foire du 1er mai. »

Sensibilité écologique et perception du changement climatique

« Pour moi, l’écologie ce n’est pas une discipline cloisonnée, c’est une éthique générale de responsabilité. L’écologie est obligatoirement globale. Il y a plein de portes d’entrées. Tu peux en arriver à l’écologie après une prise de conscience sociale, environnementale ou internationale. Ma prise de conscience s’est faite bien avant que je n’arrive dans le Trièves, quand j’étais ado. Très tôt je me suis passionné des questions Nord/Sud et de ce qu’on appelait le tiers monde ou même parfois la « zone des tempêtes » et je suis rentré dans l’écologie par là. J’avais 18-19 ans. Plus tard, j’ai adhéré aux Verts le jour où j’ai eu le sentiment qu’ils portaient cette éthique globale de responsabilité, en particulier en retombant sur les questions de rapports Nord/Sud. J’ai adhéré 8 ans après la création parce que les Verts avaient pris une position pour la Kanaky et contre le joug colonial sur la Nouvelle Calédonie et contre l’intervention en Irak. Mon fils s’est aussi retrouvé très tôt dans des élections cantonales et j’ai apprécié la manière dont ils ont ouvert les portes et fait confiance à un jeune ce qui était assez rare à cette époque-là. Ça c’est la manière dont je suis rentré en politique. C’est différent de ma prise de conscience écologique. »

« Le problème du changement climatique est pour moi politique et mes émotions personnelles là-dedans me paraissent très secondaires. Mais il y a des choses qui me mettent très en colère comme la passivité des états, des politiques publiques y compris de la France, certains refus de prendre ses responsabilités. Il est irresponsable que l’état ne fasse pas le quart du tiers de ce qui avait été décidé à la Cop21. »

« Pour moi, globalement, tant que la recherche de profit restera le moteur principal de l’économie, à toutes échelles, des multinationales à toi et moi dans notre vie de tous les jours, on tournera le dos à ce qui est nécessaire et on ira de mal en pis jusqu’à l’explosion. Je n’utilise pas le terme d’effondrement parce qu’il va avec désespérance et je refuse qu’il n’y ait pas d’issue. La crise globale dans laquelle nous nous trouvons déjà ne peut que s’accélérer. Dans le Trièves, les questions pour lesquelles je me sens particulièrement concerné et qui me mobilisent ce sont des questions d’aménagement du territoire, les problématiques agricoles, les problématiques environnementales liées à l’agriculture, les questions de transports surtout ici. Se passer de la ligne de train ou accepter qu’elle crève c’est pour moi insupportable. »

« Personnellement, je ne fais pas assez d’efforts. Il n’y a pas de super-héros. Ceux qui se prennent pour des super-héros et donnent des leçons en permanence me fatiguent. J’ai mes habitudes y compris mes mauvaises habitudes, mes conforts. Je me fais souvent engueuler par ma nana parce que je me sers mal du robinet et que je gaspille de l’eau. J’ai eu quelques problèmes pour marcher et ça me sert de prétexte pour prendre un peu trop ma voiture. Quand je suis devenu agriculteur en 1985, j’avais la tête dans le guidon et les premières années je n’ai pas forcément fait attention aux intrants et à ce que je donnais à mes vaches en plus du foin. Ce sont des choses que j’ai arrêtées très très vite. Je ne suis pas passé au bio pour plusieurs raisons, mais vers la fin, sur mon exploitation j’étais dans les conditions du bio. J’aurais pu demander mon label. Ce qui ne va pas aussi c’est que j’aime beaucoup trop manger, j’aime la viande. Je réduis mais ça ne va pas assez vite. »

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