Rencontré le 28/07/2022
Stéphane Horvath travaille dans le bâtiment depuis 35 ans. Il a 51 ans. Il habite dans le Trièves, à Monestier du Percy depuis 22 ans.
La chaleur et la sécheresse
« Je suis venu dans le Trièves pour la tranquillité et aussi pour travailler au frais à l’époque. Ça a changé. Avant, quand on avait soif on avait qu’à traverser la rue pour se servir à un bassin. Aujourd’hui, on est des fois obligés de prendre le fourgon pour aller chercher de l’eau parce que les bassins ne coulent plus. Il n’y a plus de sources, plus d’eau dans les ruisseaux, plus rien. On voit des crevasses dans la terre. La chaleur parle d’elle-même. C’est normal qu’il fasse chaud l’été mais là c’est abusé. On passe les 42-45°C en plein soleil. Dans les grandes villes, ils ont des protocoles pour ne pas travailler quand il fait trop chaud, pour aménager les horaires. Dans le bâtiment, ça n’existe pas. C’est de plus en plus dur physiquement. En fin de saison, quand tu rentres le soir, tu es ruiné. Ça te tue. Tout est plus compliqué. Le béton tire trop vite. Il faut arroser les dalles. Il n’y a plus d’eau, plus de pression dans les tuyaux. »
« Pour s’adapter, si on veut, on peut commencer une heure plus tôt le matin mais ça ne change pas grand-chose et si tu commences à 4h du matin, le soir tu es foutu. A mon âge je n’ai plus envie. Les jeunes essaient un peu de le faire. »
« J’ai une petite exploitation agricole, avec quelques animaux. C’est la catastrophe. Il n’y a plus d’herbe. On va déjà passer au foin. On doit en acheter plus qu’avant. Ça commence à faire peur. »
« J’ai une petite piscine pour les enfants. Les oiseaux viennent pour y boire. Ils ont le bec ouvert. Ils viennent même si tu es dans l’eau. D’habitude ils ne s’approchent pas comme ça. Les animaux sont perdus. Ils me regardaient comme s’ils me disaient : « fais quelque chose ». C’est impressionnant. Tu vois des renards boire en plein milieu de la journée dans la nature alors qu’avant tu ne voyais pas ça. »
« Avant le Trièves, je venais d’Echirolles, c’était compliqué la nuit l’été alors que dans le Trièves tu pouvais te reposer. Il faisait frais. C’est la première année que j’ai dû mettre un ventilateur la nuit pendant 15 jours pour pouvoir m’endormir. On ne connaissait pas ça dans le Trièves avant. »
« Il y a des produits de construction qu’ils utilisent dans le Sud et qu’on utilise maintenant chez nous. Niveau isolation, on isole presque plus de maison pour le chaud que pour le froid maintenant. »
« Avant on chauffait à peu près 8-9 mois et aujourd’hui tu chauffes moins et moins longtemps. Il y a moins de gel qu’avant. On ne gratte le pare-brise plus que quelques fois. »
La neige
« On n’a plus de neige. Quand je suis arrivé dans le Trièves, en 1998, une année, il est tombé 88cm dans la nuit. Maintenant, ça blanchit un peu de temps en temps, ça fond, ça reneige, ça fond. Quand il neigeait au mois d’octobre, on ne revoyait pas la terre avant avril parce que ça gelait dur dessus et ça restait gelé. J’ai vu jusqu’à -20 en Trièves. Aujourd’hui ça n’existe plus. Quand j’ai commencé à travailler dans le Trièves, on avait un seul mois de vacances, en janvier, parce que c’était impraticable. Aujourd’hui on peut travailler quasiment toute l’année dehors. Ce n’est pas évident non plus quand il fait froid mais mieux qu’avant. »
Observations climatiques : vent, saisonnalité…
« Le vent c’est affreux. J’en discutait avec les anciens et ils me disaient qu’avant dans le Trièves, il y a une trentaine d’années, il n’y avait pas de vent. Ça s’est vachement pénible. Ça finit de faire sécher et crever toutes les plantes avec la chaleur. On se croit bientôt dans le Gard : le 15 juin c’était déjà tout sec comme dans le midi. Avant, le Trièves était quand même reconnu pour une espèce de micro climat où il faisait chaud l’été mais il y avait une douceur au printemps et l’hiver était agréable. Aujourd’hui, on dirait qu’il n’y a plus que deux saisons : on passe de la doudoune à la canicule et vice versa. Le corps n'a pas le temps de s’adapter. »
« Les premières années où j’étais là, je me rappelle qu’on avait eu 29 jours de pluie en octobre. Je n’ai jamais revu ça. Il n’y a plus de pluie à l’automne, au printemps… Entre septembre et octobre, un mois/un mois et demi de pluie, c’était courant avant. »
Biodiversité
« Il y a beaucoup d’araignées qu’on n’avait pas avant, qu’on ne trouvait que dans le Gard ou le Mercantour. Ma fille s’est fait piquer par une araignée il y a deux ans. Elle a eu un énorme œdème. C’était tout nécrosé. Personne n’a su lui dire ce que c’était. Elle a envoyé les photos à un institut dans le Sud et ils en ont déduit que c’était une araignée violoniste qui n’est pas reconnue chez nous parce qu’il n’est pas censé faire assez chaud. J’en ai pris en photo sur des branches sur un chantier. C’est une toute petite araignée noire avec un gros corps. Aujourd’hui, ça remonte en altitude. Les insectes sont différents. On a des cigales aujourd’hui. Il y a une vingtaine d’année il n’y avait pas de cigales dans le Trièves. »
« J’ai un copain qui m’a dit, il y a quelques années, qu’il allait planter des oliviers. Je lui ai dit : « mais qu’est-ce que tu fais ? » et il m’a répondu qu’un jour on aurait des oliviers dans le Trièves. Il était vachement avant-gardiste et il connaissait bien la nature. Aujourd’hui ses oliviers font bientôt deux mètres et ils commencent à avoir des olives. C’est impressionnant la vitesse à laquelle ça va. »
Sensibilité écologique et préoccupations
« On voit plein de reportages à la télé…si ça peut faire prendre conscience aux gens. Jusqu’à maintenant tout le monde était plein de bonne volonté mais personne ne faisait attention à rien. Maintenant que c’est physique, les gens vont peut-être faire un peu plus attention. »
« J’ai un projet de poêle à granulés pour éviter de consommer trop de fuel. On fait aussi attention à l’eau. Je sensibilise mes enfants là-dessus. L’autre jour, ils tiraient l’eau pour qu’elle soit fraîche. Je leur ai dit de plutôt la mettre au frigo ou de mettre des glaçons. L’eau il faut y faire attention. A Monestier du Percy, on a eu un coup de fil de la part de la mairie pour expliquer que l’eau diminuait et que si ça continuait comme ça on avait plus d’eau dans 4-5 jours. Depuis une semaine, ils font plus attention. 5 minutes sous la douche c’est déjà beaucoup. On est obligés de faire attention. On fait ce qu’on peut à notre échelle. »
« Le changement climatique ça me désole. Tu vois des pays où il fait sec, où il n’y a rien qui pousse. Nous on a tout et on est en train de tout massacrer. »
« Pour 1m3 de béton, il faut 1000L d’eau mais on n’essaie pas de changer, de faire autrement. Il faudrait peut-être plus pousser à l’éco construction mais ça dépend de la manière dont est coupé le bois, si on le replante derrière ou pas… »
Potager
« La végétation ne comprend plus rien. Quand tu fais un potager, il y a tout qui crève. C’est tout petit, ça se couche. Ça ne supporte pas la chaleur. Il y a des choses qu’on ne peut plus faire : les poireaux, par exemple, il leur faut assez de frais la nuit. Les salades elles montent. »