Rencontré le 25/07/2022

Christophe Bonnet travaille au service technique de Cordéac depuis 1997 puis pour Châtel-en-Trièves depuis la fusion et s’occupe essentiellement de l’eau, de l’assainissement, des espaces verts, de la montagne, des voiries. Il est originaire du Trièves et habite Cordéac.


La ressource en eau et la sécheresse

« Il y a 3 captages sur Saint-Sébastien, 5 sur Cordéac et 4 sur le SIE, c’est le service intercommunal des eaux entre Saint Sébastien et Saint Jean d’Héran. En alpage, on a 2 captages à Cordéac, un pour les alpages du Châtel et un sur l’alpage de Bachillianne. D’habitude on relève le débit des sources une fois par mois et en ce moment tous les huit jours parce que c’est demandé. Sur le SIE, on a un traitement au chlore gazeux et sur Cordéac tous les traitements se font aux ultra-violets (UV). On change les lampes une fois par an. » 

« Il y avait déjà eu une grosse sécheresse en 2003 : très chaud, sans pluviométrie mais moins longtemps que cette année. On avait déjà eu, à ce moment-là, un déficit des sources mais ça s’est moins vu qu’aujourd’hui parce qu’il y avait plus de ressources. On a de moins en moins de neige et de pluviométrie. En 2009 aussi il fallait faire attention. Il y avait des restrictions. Dans les années 2011-2012, on a de nouveau eu pas mal de neige. Maintenant les gens croient qu’il y a de la neige mais en cumul ce n’est pas grand-chose. Depuis 2006, je fais tous les relevés de pluviométrie et de neige en millimètres d’eau. On a de moins en moins de pluies d’automne alors que c’est ce qui recharge beaucoup les sources. Au printemps, ça aide un peu aussi mais la nature prends beaucoup alors qu’en automne elle est endormie. J’ai remarqué que si on a de bonnes pluies en novembre et jusqu’au 15 décembre, ça remplit pas mal les sources. Les gens font plus attention quand il fait chaud en été mais le moment où on manque le plus c’est en décembre-janvier-février parce que bien souvent le froid arrive et ça gèle en montagne. L’eau est coincée là-haut et les sources baissent énormément. »

« Le débit en ce moment ça m’inquiète un peu, ça descend pas mal. Sur le SIE on est un peu plus inquiets parce qu’on a un réservoir qui remplit deux réservoirs sur Saint-Sébastien et plusieurs sur Saint-Jean-d’Hérans. Ça représente à peu près 500 personnes. Dès qu’il y a un problème sur ce réservoir, je reçois une alerte sur le téléphone : dès que le débit est trop bas ou s’il y a un problème avec le niveau de chlore. Depuis 3 semaines [début juillet], on est alertés la nuit parce qu’on consomme beaucoup trop aux heures de pointe : de 19h à 1h du matin. Cette semaine, ça allait mieux, les gens ont pris conscience parce qu’on a fait passer un mot dans toutes les boites aux lettres sur Châtel et Saint-Jean-d’Hérans. La nuit, quand il n’y a pas beaucoup d’eau, je monte au réservoir et je prends un peu d’eau de la réserve incendie pour compenser et que le matin tout le monde ait de l’eau. Je l’ai expliqué aux gens : il vaut mieux que ce réservoir soit plein en cas de problème incendie. Quand on parle de ça, ça marque beaucoup plus les esprits. Il faut que les communes montrent l’exemple donc on n’arrose plus et il n’y a plus de fontaines [alerte sécheresse]. Les fontaines ont un bouton poussoir pour que les cyclistes puissent prendre de l’eau mais que ça ne coule pas sans arrêt. »

« Cette année, les températures sont chaudes et ça dure longtemps, depuis mai, et surtout on n’a pas de pluviométrie et ce n’est pas annoncé. Il y a quelques orages mais ce n’est pas ça qui met de l’eau. Avec la chaleur, l’eau s’évapore. Le vent ça joue aussi, il prend toute l’humidité. La nature en demande aussi beaucoup. Pour un gros chêne, il faut 600L par jour. »

« En période de sécheresse, je travaille plus que d’habitude. On fait des recherches de fuites un peu toute l’année mais encore plus quand on a des problèmes d’eau. Depuis le 22 juillet, on est en alerte crise, tout le Sud du département. C’est au-dessus de l’alerte sécheresse. On l’affiche un peu de partout. En crise, on a seulement le droit d’arroser les jardins potagers de 20h à 9h du matin. On n’a plus le droit d’arroser les fleurs privées et communales. Tous les gens qui ont des sources privées sont aussi concernés. Bien souvent ils croient ne pas avoir de problème parce qu’ils ont leur propre source mais l’eau vient du même endroit pour tout le monde. Il faut le faire comprendre aux gens. » 

Ressentis et bonnes pratiques

« J’espère que les années passent et ne se ressemblent pas. Il faut apprendre à économiser l’eau comme toutes les sources d’énergie. C’est un combat quotidien. C’est bien de favoriser les plantes vivaces, chez soi et dans les communes. Il faut arrêter les pots, les jardinières et tout ce qui est arrosage permanent pour faire plutôt des massifs. Pourquoi pas planter des légumes dans les massifs fleuris. Par rapport à ça, on a aussi une plateforme de déchets verts. On récupère seulement les végétaux qui sont ensuite broyés. On a pas mal de tas de broyat qui ont 3 ans, 2 ans ou 1 an. Si on fait des massifs de plantes vivaces, mellifères et avec du paillage, il n’y a quasiment pas d’arrosage à faire. Je suis aussi guide composteur. » 

« Il faut travailler autrement, arrêter de planter du gazon et prendre de l’herbe agricole. On sait qu’il y a tout ce qu’il faut dedans. Ça résiste aussi beaucoup mieux à la sécheresse et ça évite les arrosages. Je pars du principe où, même les années où il pleut, où on a de l’eau, ce n’est pas la peine de gaspiller la ressource, il faut l’économiser. A partir du moment où l’eau vient chez nous on la salit, autant qu’elle reste en montagne. »

« A Châtel, tous nos réservoirs sont équipés de flotteurs ou de vannes altimétriques. Avant, le trop-plein partait dans les égouts. Je pars du principe que l’Homme prend ce dont il a besoin et le reste il le rend à la nature. Avec les flotteurs on rend l’eau en trop au milieu naturel autour du captage. C’est quelque chose qui me parait important. Les gens ne pensent pas à ça. Il faut faire attention à la faune et à la flore. Les petites rivières font les grandes. On a besoin d’eau pour l’hydroélectricité. Le soir, tout le monde est content que ça s’allume chez soi. Dès la source, il faut économiser au maximum. « La nature ce n’est pas compliqué, c’est nous qui voulons toujours la dompter. La nature n’a pas besoin de l’Homme. »

« J’ai toujours fait un jardin. On ne peut pas semer quand la terre n’est pas chaude et, avant, fin avril - début mai, on pouvait semer ici. Maintenant on est plus vers fin mai - début juin mais on a une très belle arrière-saison. Ce n’était pas rare d’avoir un coup de gel avant le 15 septembre. Je pense que par rapport à avant on a un printemps plus froid. On a moins de neige et par rapport au climat, ça s’est décalé d’un bon mois. On a des fois une période de beau et chaud en mars et puis, en avril, la température baisse. Maintenant quand on a du froid en novembre c’est déjà bien. Je trouve que les températures ne sont jamais stables. On n’avait pas -5°C avec de la neige et le lendemain 10°C avec de la pluie. Ça a bien changé sur 20 ans. »

« Au niveau des arbres, j’ai remarqué qu’avant on ne voyait pas de frênes en montagne, à notre altitude si [celle du village] mais pas plus haut. Maintenant il y en a et ils poussent bien. Ça se boise de plus en plus haut. C’est peut-être parce qu’il y a moins de pâturages mais il y a des essences qui sont plus en altitude qu’avant. »

« Sur la commune j’ai aussi beaucoup travaillé sur les produits phytosanitaires pour éviter la pollution de l’eau. A force d’en parler, les gens en passent de moins en moins. J’ai essayé de sensibiliser les habitants là-dessus. Quand il pleut, ça ramasse tous les produits et ça va dans les ruisseaux. Quand je voyais des gens qui en utilisait dans les cimetières ou dans leur cour, je leur disais que ça coûtait quand même un peu cher, que je n’en passais pas chez moi et que ça ne poussait pas non plus. L’eau chaude des pâtes et des œufs durs je la vide sur les mauvaises herbes. Déjà ça tue la plante mais ça permet aussi à l’eau de rester sur la terre et de pas aller dans les égouts. De fil en aiguille, les gens ont changé leurs façons de faire. Dans mon évier quand je me lave les mains je mets une cuvette. Ça force à moins consommer. On met moins fort parce qu’après on va la vider dehors pour arroser. Les récupérateurs d’eau c’est bien aussi. Chez moi j’ai 2m3 et demi et un toit de 200m2. Je n’ai pas encore utilisé d’eau communale pour arroser mon jardin. Je me bats aussi pour les travaux : pour des routes inclinées qui vont évacuer l’eau plutôt que des bordures. Sur la commune, on a mis des chasses d’eau qui consomment moins d’eau. L’hiver il n’y a pas de WC publics dehors. Les gens ont tendance à oublier quelque chose qu’ils connaissent tous : le cycle de l’eau. C’est toujours la même eau qui tourne donc il faut en prendre soin le plus possible. »

« J’espère que cette année va faire une bonne sensibilisation chez les gens, qu’elle va marquer les esprits. On n’est pas sortis de l’auberge. On est limite et c’est seulement le milieu de l’été. S’il ne pleut pas en août, je pense qu’en septembre on va manquer d’eau. »

« J’ai toujours été conscient des efforts qu’il fallait faire. Quand j’ai construit ma maison en 1997, je l’ai fait en béton cellulaire, sans laine de verre. C’était léger, c’était bien. J’ai aussi un chauffage en géothermie. J’ai été le premier à le mettre dans le Trièves. Les tuyaux prennent la chaleur de la terre et la ramène dans un plancher chauffant. Aujourd’hui, j’en suis à 100€ d’électricité par mois tout confondu : chauffage, eau chaude et ma femme est assistante maternelle donc elle à la maison toute la journée. »

« J’avais fait une campagne de sensibilisation avec les écoles. On était partis d’un captage et on avait suivi l’eau tous le long. Je leur avais expliqué que si on se lave les dents 3 fois par jour pendant 3 minutes comme il le faut normalement, si on laisse couler l’eau, à l’année ça fait presque l’eau du réservoir entier. Ça leur avait bien plu et j’avais eu pas mal de retours des parents. Passer par les enfants c’est pas mal. On avait fait pareil au niveau du tri. »

Biodiversité

« Il y a des endroits où il y en a de moins en moins d’insectes et d’abeilles. Ça va devenir un souci. C’est vrai qu’ils souffrent. C’est pour ça que j’essaie de mettre des plantes mellifères dans les massifs de la commune. Chez moi, j’ai fait un hôtel à insectes et j’essaie d’avoir une floraison sur toute l’année pour les abeilles sauvages : ça va du buis, au noisetier, aux roses de Noël. Il faut aussi planter des haies mais pas des cyprès. Il faut planter des essences du coin. Il faut laisser les fleurs fanées et ne pas tout couper. Il y a beaucoup d’insectes qui passent l’hiver là-dedans. Il faut les enlever au printemps une fois qu’ils sont sortis d’hibernation. »

« Depuis le 1er janvier [2022], on éteint les lampes de minuit à 5h30 du matin. Rien que ça pour les insectes c’est bien. »

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